a)Résumé des contraintes
- Respecter à la fois le sens et l’esthétique (utiliser au besoin des synonymes)
- S’abstenir de trop d’explicitations
- Souligner les jeux de mots autant que faire se peut
- Respecter le rythme (en utilisant la métrique au besoin)
- Mettre en valeur les strophes
- Conserver et/ou laisser des possibilités d’interprétation (connotations, etc)
b)Suite Yoshitsune – Hôgan1 malfaisant
Ecouter la chanson Akki Hôgan :
賽の河原に打ち捨てる さいのかはらにうちすてる Sai no kanata ni uchisuteru |
Jeté sur les rives de la rivière Sai2 |
誓いを染める白旗 ちかいをそめるしらはた Chikai o someru shirahata |
L’oriflamme blanc3 teint les promesses |
裂ける血汐闇に啼いて さけるちしおやみにないて Sakeru chishio yami ni naite |
Bouillonnant sang des chairs qui hurle dans le noir |
錯誤を匕とす さくごをひとす Sakugo o hitosu |
Fait de la méprise un poignard |
伽藍堂の正義と現世の渾てを がらんどうのせいぎとこのよのすべてを Ganrandô no seigi to konoyo no subete o |
L’inconsistance de cette justice et tout ce qui est en ce monde |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の悪の力で このあくのちからで Kono aku no chikara de |
Par ce pouvoir du mal |
代価に愛の証を呉れないか かわりにあいのあかしをくれないか Kawari ni ai no akashi o kurenai ka |
En échange ne feras-tu pour moi preuved’amour ? |
眩く満ちる朝と苟且の天を まばゆくみちるあさとかりそめのそらを Mabayuku michiru asa to karisome no sora o |
L’éblouissante aurore qui se lève et l’évanescence du ciel |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の夜の力で このよるのちからで Kono yoru no chikara de |
Par ce pouvoir de la nuit |
帷を染め往く しろ とばりをそめゆく しろ Tobari o someyuku shiro |
Blanc qui colore les bannières |
西の彼方に押し寄せる さいのかなたにおしよせる Sai no kanata ni oshiyoseru |
Approcher aux confins de l’Ouest |
祈りを込める白浜 いのりをこめるしらはま Inori o komeru shirahama |
Plage au sable blanc pleine de prières |
哮る肉を闇に投いで たけるししをやみにないで Takeru shishi o yami ni naide |
Jeter le gibier mugissant dans le noir |
覚悟は一つと かくごはひとつと Kakugo wa hitotsu to |
Il n’y a qu’une résolution |
(鬨をあげよ!) (ときをあげよ!) Toki o ageyo |
(Poussons le cri de guerre !) |
伽藍堂の正義と現世の渾てを がらんどうのせいぎとこのよのすべてを Garandô no seigi to konoyo no subete o |
L’inconsistance de cette justice et tout ce qui est en ce monde |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の悪の力で このあくのちからで Kono aku no chikara de |
Par ce pouvoir du mal |
代価に哀の言葉を呉れないか かわりにあいのことばをくれないか Kawari ni ai no kotoba o kurenai ka |
En échange n’auras-tu pas pour moi un mot de compassion ? |
眩く満ちる朝と苟且の天を まばゆくみちるあさとかりそめのそらを Mabayuku michiru asa to karisome no sora o |
L’éblouissante aurore qui se lève et l’évanescence du ciel |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の夜の力で このよるのちからで Kono yoru no chikara de |
Par ce pouvoir de la nuit |
帷に散り逝く 赤 とばりにちりゆく あか Tobari ni chiriyuku aka |
Bannières où se répand le rouge |
昏きみ空は くらきみそらは Kuraki misora wa |
L’auguste ciel assombri |
心まで癈に堕ちる こころまではいにおちる Kokoro made hai ni ochiru |
Insidieusement corrompt jusqu’au cœur |
赤い膿も あかいうみも Akai umi mo |
Pus carmin |
白い衣も しろいきぬも Shiroi kinu mo |
Comme habits blancs |
黒き傲りに澱み くろきおごりによどみ Kuroki ogori ni yodomi |
Dans la sombre arrogance tout croupit |
伽藍堂の正義と現世の渾てを がらんどうのせいぎとこのよのすべてを Ganrandô no seigi to konoyo no subete o |
L’inconsistance de cette justice et tout ce qui est en ce monde |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の黄泉の力で このよみのちからで Kono yomi no chikara de |
Par ce pouvoir d’outre-tombe |
代価に燃える最期を呉れないか かわりにもえるさいごをくれないか Kawari ni moeru saigo o kurenai ka |
En échange n’ourdira-tu pour moi quelque fin enflammée ? |
眩く満ちる朝と苟且の天を まばゆくみちるあさとかりそめのそらを Mabayuku michiru asa to karisome no sora o |
L’éblouissante aurore qui se lève et l’évanescence du ciel |
呉れてやる くれてやる Kureteyaru |
Je te les livre |
此の愛の力で このあいのちからで Kono ai no chikara de |
Par ce pouvoir de l’amour |
幾瀬も栄ゆるは 黒 いくせもはゆるは くろ Ikuse mo hayuru wa kuro |
Noir est ce qui resplendit partout |
c)Commentaire de traduction
La traduction fut longue et laborieuse. J’ai dû me servir d’une métrique complexe et rester dans l’approximation, dans un contexte très flou.
Les jeux de mots, de prononciation, plusieurs clins d’œils et références précises, sont fréquents. Aucun terme n’est laissé au hasard. Je m’avancerai certainement dans mes interprétations concernant certains mots qui, peut-être, ne sont que des utilisations fortuites. Je ne peux pourtant m’empêcher d’être convaincue que l’influence des sources du parolier a été suffisante pour que sa création s’en ressente.
Au détail près
Si le lecteur peut s’interroger sur la possibilité d’effectuer, en plus de calembours littéraires, des calembours graphiques, l’analyse suivante lui fera office d’affirmation catégorique. Autant, certains mots se contentent d’être d’agréables assonances ou allitérations, autant des vers entiers aux sonorités communes sont plus proches du « calembour » que d’un simple rappel esthétique.
J’ai relevé ci-dessous quelques vers concernés par des jeux de mots spécifiques. Chaque vers est présenté avec son ou ses semblables. Ils sont accompagnés des lectures romaji permettant de distinguer les sons qu’ils ont en commun, en gras. Je profite de ce découpage pour expliquer certains choix liés à cette nouvelle difficulté, en soulignant et commentant les assonances, allitérations et jeux de mots dans ma traduction.
Calembours
Par endroits, j’ai eu l’occasion de marquer légèrement ces jeux de mots. Une oreille occidentale un minimum attentive peut, quoi qu’il en soit, repérer leur existence.
Ainsi le premier vers ne joue-t-il, en Français, que sur la grammaire. D’abord un verbe, puis un complément de lieu.
賽の河原に打ち捨てる さいのかはらにうちすてる Sai no kawara ni uchisuteru |
Jeté sur les rives de la rivière Sai |
西の彼方に押し寄せる さいのかなたにおしよせる Sai no kanata ni oshiyoseru |
Approcher aux confins de l’Ouest |
Le troisième vers utilise le même système et répète 闇に, dont je me suis largement servie afin de compenser le manque de possibilités en français en traduisant les deux fois par « dans le noir ».
Les strophes renseignent suffisamment pour comprendre que le groupe a jonché la chanson de ces calembours. Aussi ai-je limité ou ignoré leur présence dans certaines strophes trop complexes à transcrire.
Assonances et allitérations
Isolés les francs calembours, restent de rares assonances et allitérations comme dans l’exemple ci-dessous.
Etant donné que celles-ci sont moins marquées, j’ai pu me contenter de profiter de la répétition de 白dans le texte original et d’un « pr » commun entre promesse et prière dans les strophes suivantes.
誓いを染める白旗 ちかいをそめるしらはた Chikai o someru shirahata |
L’oriflamme blanc teint les promesses |
祈りを込める白浜 いのりをこめるしらはま Inori o komeru shirahama |
Plage au sable blanc pleine de prières |
Remplacements
On remarque un jeu de couleur, entre blanc, rouge et noir, redondant dans les paroles. Il peut symboliser la chute du personnage, physique comme psychologique, et constitue un intéressant jeu de mots entre les bannières blanches des Genji puis celles, rouges, des Heike. Grâce à l’introduction à la chanson d’Onmyo-za Hyakumonogatari4, la référence est claire, mais j’ai préféré la préciser dans une note de bas de page lors de sa toute première évocation.
Dans le refrain, le terme 証est remplacé par 言葉. J’ai du changer de verbe pour conserver cette notion.
代価に愛の証を呉れないか かわりにあいのあかしをくれないか kawarini ai no akashi o kurenaika |
En échange ne feras-tu pour moi preuve d’amour ? |
代価に哀の言葉を呉れないか かわりにあいのことばをくれないか kawarini ai no kotoba o kurenaika |
En échange n’auras-tu pas pour moi un mot de compassion ? |
Esotérisme et flou artistique
Une grande partie des termes employés ne générera pas d’image précise pour un occidental. Le parolier lui-même s’est peu occupé de considérer les connaissances de son public, aussi je me suis amplement servie de l’ésotérisme inhérent à cette chanson pour créer une sorte de « flou artistique », qui laissera l’auditeur libre d’interpréter ce qu’il souhaite et de visualiser selon son goût certains éléments.
Premier couplet
Le premier couplet possède une dimension d’ores et déjà métaphorique. Je crois comprendre qu’il évoque l’injuste disgrâce de Yoshitsune, qui avait pourtant échangé une « promesse » de fidélité avec son frère, lors de leur première rencontre5. Yoritomo, abusé par les ennemis de Yoshitsune, se serait « mépris » sur son compte et aurait ainsi trahi leur promesse. 賽の河原 peut faire référence à l’enfer des enfants morts prématurément et le fils de Yoshitsune a été tué, à peine né, par la volonté de Yoritomo. Ce passage me paraît abstrait mais compréhensible. L’auditeur peut saisir qu’il y a eu trahison et méprise.
Refrain
Malgré les changements et jeux de mots, il constitue un tout plutôt clair. Yoshitsune avait promis à Yoritomo sa fidélité, comme le transcrit bien la scène de leur première rencontre :
“Now that I have seen you, it is as though I had met our dead father. I have already dedicated my life to him, so please use me just as you like. I could’nt possibly object to anything you say.”6Le héros étant perçu et décrit dans les autres aspects de sa vie comme un homme intègre et sincère, aucun doute n’est permis.
Je prends en compte le fait que les chroniques liées à Yoshitsune possèdent de nombreuses références au bouddhisme. Ainsi j’ai choisi de traduire 伽藍堂 par « inconsistance ». De la même façon, j’ai pris le terme « évanescence » pour traduire 苟且.
Je comptais utiliser exclusivement le terme « oriflamme » concernant 帷, tel qu’il est utilisé dans la traduction du Heike Monogatari7, mais le mot « bannière » est plus courant, plus marquant et permet de mieux situer la période et l’ambiance. Il possède une connotation plus forte qui touchera davantage l’auditeur francophone.
Second couplet
Autant le premier permettait suffisamment d’interprétations pour laisser un joli flou artistique s’imposer, autant celui-ci nécessite une bonne connaissance de la progression des armées des Genji vers l’ouest, où ont fui les Heike. Le sens doit pouvoir être proche tout en donnant un maximum d’informations…
Ce couplet peut évoquer la traversée laborieuse de Yoshitsune vers Yashima. Le Heike Monogatari8 précise qu’ont été effectuées des prières avant le départ des bateaux et quelques recherches m’ont permis de constater la blancheur des plages des lieux.
La phrase entre parenthèses est criée de façon lointaine par le chanteur et ne fait pas tout à fait partie des paroles en tant que telles. Par conséquent, j’ai conservé cette graphie en français afin de permettre au lecteur d’isoler cette partie à l’écoute.
Pont
Un nouveau jeu de couleurs apparaît ici, qui pourra être compris par l’explication sur les oriflammes. On peut y voir une référence à la chute des Heike, pourtant au faîte de leur puissance quelques années plus tôt, et à l’avenir des Genji, rapidement supplantés : dans l’arrogance, tout croupit.
1Hôgan : fonctionnaire de troisième classe, grade de Minamoto no Yoshitsune
2Rives où s'échouent les âmes des enfants morts
3L'oriflamme des Minamoto était blanc, celui de leurs ennemis les Taira, rouge.
4« 脳内無霊 », op. cit.
5Yoshitsune: A Fifteenth-century Japanese Chronicle, op. cit.
6Ibidem. p.134
7Le Dit des Heiké, op. cit.
8Ibidem.