A. Charte de traduction

1.Les choix du traducteur

a)Généralités

En traduction, un juste milieu s’impose entre le respect du texte original et la re-création, dans une autre langue, de l’esthétique inhérente à l’œuvre. Celle-ci impose qu’en plus de la traduction, le texte subisse une adaptation. « Il faut à la fois la fidélité et l’élégance, l’esprit et la lettre… »1.

L’on reconnaîtra aisément que passer du japonais au français génère un certain nombre de problèmes, pas tant dans la dénotation2, que dans la connotation3. Traduire nécessite de connaître ce que j’appellerai l’« environnement » de chaque langue. Ce terme implique autant le contexte se rapportant à l’œuvre que tous les genres de cultures possibles. Il suggère également que l’auteur, puis le traducteur, sont eux-mêmes soumis à l’environnement en question. Il s’agit donc de parvenir, dans une langue maternelle aussi bien que dans une langue qui nous berce, à faire preuve de discernement.

b)La chanson, un support particulier

Traduisant une chanson, je la considère comme poésie et songe à conserver son « essence »4, terme qui englobe tout ce qu’un texte a d’abstrait et de concret. La qualité poétique d’un texte en japonais se fera ressentir d’une manière différente en français, et la responsabilité du traducteur tient dans la façon dont il veut la transmettre. Pourra-t-il recréer une poétique « à la française » pour toucher le lecteur selon ses propres notions artistiques, ou tentera-t-il de faire émerger du texte, dans cette langue qui ne se prête guère à la simplicité, l’artistique japonaise ? Une fois de plus, il me semble judicieux d’appliquer, au cas par cas, telle ou telle option.

Dans ce cadre, la source étant des paroles de chanson tout à fait spécifiques, j’aurai recours à la synonymie, à la périphrase, ou à toute autre solution qu’il faudra examiner avec précision. Il faudra faire en sorte que le sens soit intelligible, mais conserver parallèlement une certaine esthétique : l’adaptation est d’autant obligatoire qu’une chanson est agrémentée de thèmes musicaux et rythmée très précisément.

2.Contexte

Avant d’établir une méthode de traduction précise, il me faut définir dans quel objectif je traduis les paroles d’Onmyo-za. Si d’abord la traduction ne devait servir qu’à mon propre progrès, je considère que, souhaitant traduire pour un public dans le cadre du sous-titrage, je dois prendre en compte la cible potentielle de mon travail. Les deux chansons étudiées concernant moins un public de l’anime qu’un public d’amateurs de metal, voire de jeux vidéo, produire une traduction sans trop d’explicitations me paraît judicieux.

Je traduis ces deux chansons pour un public intéressé par la musique ou la fiction, qui ne maîtrise en aucune façon la langue, la culture ou les références évoquées. Par contre, le public en question, surtout celui concerné par le metal, est plutôt habitué aux références abstraites. Par exemple, la ballade Lilja’s Lament du groupe Indica* cite plusieurs personnages des romans des sœurs Brönte et de la légende arthurienne, sans sources évidentes. A moins de maîtriser le sujet, l’on est facilement perdu dans les croisements entre les univers et il est impossible de comprendre toutes les références. De même, le groupe Sabaton* compose principalement des chansons évoquant de façon précise les batailles en Occident. L’intensité des chansons suffit souvent à l’auditeur mais on ne peut comprendre en toute logique la chanson sans posséder une bonne connaissance des événements.

Par conséquent, je pourrai compter sur l’abstraction inhérente au milieu pour laisser des flous artistiques, à l’image des musiciens auxquels est habituée ma cible.

3.Méthode

a)Langue

Je comptais utiliser un langage désuet, une langue qui, sans correspondance de période particulière, donne l’impression que les événements sont lointains. La langue française ayant beaucoup évolué ces dernières décennies, il m’était assez facile d’user de termes ou structures considérés comme « archaïques ». De plus, la langue très particulière qu’utilise le traducteur du Heike Monogatari5, René Sieffert, me paraissait une bonne solution afin d’insister sur la distance tant spatiale que temporelle entre l’Occident actuel et le Japon médiéval.

Malheureusement, ajouter cette condition à une contrainte déjà énorme est trop complexe. Je pense cependant que, si l’occasion se présente d’utiliser un mot particulier, je ne m’en priverai pas. J’ai, à ce propos, pu remarquer un anglais archaïque, par exemple les pronoms personnels thee ou ye, dans plusieurs chansons de genre metal. Une analogie peut s’effectuer mais les informations véhiculées par la chanson traduite devront donner des indices suffisants sur la période concernée.

Je prendrai le même soin à vérifier les structures et termes utilisés dans Inugamike no ichizoku6, qui n’est pas non plus un ouvrage actuel et qui peut comporter des éléments intéressants à souligner. Je tenterai de faire passer l’expression au féminin, récurrente dans la chanson, en prenant en compte l’environnement de ma cible. Le roman traduit en français7 pourra également m’aider à choisir la façon dont Matsuko s’exprimera. Conserver ses répliques telles qu’elles ont été traduites, par exemple, peut être constructif.

b)Assonances, allitérations et jeux de mots

Nombreux, ces éléments ne peuvent être ignorés. Il me faudra donc trouver des solutions pour les souligner un minimum en français, d’une manière détournée ou en utilisant les mêmes assonances ou allitérations, selon les cas qui se présenteront à moi. Quel que soit le choix, celui-ci ne saura être parfait.

c)Musique

Je compte tenter de respecter autant que faire ce peu le rythme de la chanson, voire sa métrique. Ma cible doit pouvoir lire la chanson en français tout en l’écoutant en japonais et, si cette contrainte augmente énormément la difficulté d’une traduction, elle permet de saisir la musicalité et le rythme originaux.

d)Présentation

La chanson sera donnée sous forme de tableau, à gauche le japonais accompagné de lectures en hiragana et en romaji, à droite le français. Pour une meilleure clarté, j’ai effectué moi-même un découpage rythmique sur la version originale, considérant les soupirs et les poses, ou bien la fluidité d’une phrase. Cela permet une meilleure analogie au français et, pour qui serait intéressé par la version originale, c’est un moyen d’étudier les correspondances.

Quelques notes de bas de page, à limiter au maximum, accompagneront la traduction de la chanson.

e)Aller plus loin

Les choix de traduction seront permanents. Aussi, je me propose de rédiger un commentaire de traduction, après la présentation de la chanson. Au vu de la densité des textes — c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai renoncé à placer le commentaire avec la traduction, dans le tableau — , il ne pourra être question d’un mot-par-mot. J’expliquerai certains de mes choix, selon la difficulté de traduction ou l’implication de l’environnement.

1Jean-Rene Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, Gallimard, 1994. p.90
2Sens fondamental et stable d'une unité lexicale, susceptible d'être utilisé en dehors du discours .
3Ensemble de significations secondes provoquées par l'utilisation d'un matériau linguistique particulier et qui viennent s'ajouter au sens conceptuel, fondamental et stable, qui constitue la dénotation. (Ainsi, cheval, destrier, canasson ont la même dénotation, mais ils diffèrent par leurs connotations : destrier a une connotation poétique, canasson une connotation familière.)
4http://www.cnrtl.fr/definition/essence : fond de l'être, caractère ou qualité propre et nécessaire d'un être; ensemble des caractères constitutifs de quelque chose.
5Le Dit des Heiké, op. cit.
6YOKOMIZO Seishi 横溝正史, op. cit.
7Seishi Yokomizo, op. cit.

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