2. Dôkoku

a)Résumé des contraintes

  • Respecter le sens et l’esthétique (utiliser au besoin des synonymes)
  • S’abstenir de trop d’explicitations
  • Souligner l’oralité et les références aux supports (roman et jeu)
  • Respecter le rythme (en utilisant la métrique au besoin)
  • Mettre en valeur les soupirs et fins de phrases

b)Lamentation

Ecouter la chanson Dôkoku tout en lisant les paroles :

せめてあと一度最期に顔を見せて

せめてあとひとたびさいごにかおをみせて

Semete ato hitotabi saigo ni kao o misete

Au moins, une dernière fois, laisse-moi encore regarder ton visage

別離を告げる台詞は彼岸に捨て逝く

わかれをつげることばはひがんにすてゆく

Wakare o tsugeru kotoba wa higan ni suteyuku

Mes paroles, pour te faire mes adieux, je les jette dans l’Au-delà

責めて狂愚の沙汰歪んだ愛の骸

せめてきょうぐのさたゆがんだあいのむくろ

Semete kyôgu no sata yuganda ai no mukuro

Condamne mon état insensé, dépouille d’un amour déformé

我が身は罪の畳まり泪は嘘になる

わがみはつみのたたまりなみだはうそになる

Wagami wa tsumi no tatamari namida ga uso ni naru

Je suis moi-même l’incarnation du péché, mes larmes deviennent mensonge

雪よ白く深く他人を皆染めて

ゆきよしろくふかくあだびとをみなそめて

Yuki yo shiroku fukaku adabito o mina somete

Que la neige d’une blancheur profonde colore tous les autres êtres humains

真黒に爛れるは此の手底だけ

まくろにただれるはこのたなそこだけ

Makuro ni tadareru wa kono tanasoko dake

Mes paumes sont seules à être corrompues d’un noir d’encre

もう汚さなくていいの

もうよごさなくていいの

Mô yogosanakute ii no

Tu n’as plus besoin de te salir

貴方の手には取る可きものが有るはず

あなたのてにはとるべきものがあるはず

Anata no te ni wa torubekimono ga aru hazu

Au creux de tes mains, il y a forcément quelque chose à recueillir

もう背負わなくていいの

もうせをわなくていいの

Mô se o wanakute ii no

Tu n’as plus besoin de t’accabler

渾て預けて奈落への道連れに

すべてあずけてならくへのみちづれに

Subete azukete naraku e no michizure ni

Laisse-moi tout assumer et tout entraîner sur le chemin de l’enfer

嗚呼虚空が酷く蒼黒く見える

ああそらがひどくあおぐろくみえる

Aa sora ga hidoku aoguroku mieru

Ah… Le ciel vide semble être d’un noir bleuâtre abominable

醜き此の身引き裂きたい

みにくきこのみひきさきたい

Minikuki konomi hikisakitai

Cet affreux corps, j’aimerais pouvoir le déchirer

決して私を許さなくていいの

けしてわたしをゆるさなくていいの

Keshite watashi o yurusanakute ii no

Tu n’as d’aucune façon besoin de me pardonner

寧ろ憎んで生まれたことも忘れて

むしろにくんでうまれたこともわすれて

Mushiro nikunde umaretakoto mo wasurete

Plutôt, déteste-moi, oublie même que je t’ai mis au monde

もう放さなくていいの

もうはなさなくていいの

Mô hanasanakute ii no

Tu n’as plus besoin de t’en séparer

繋いで其の手松蘿の契

つないでそのてしょうらのちぎりに

Tunaide sono teshôra no chigiri ni

Serre sa main, comme lierre au pin, jurez de vous unir

只せめてもの罪ほろぼし

ただせめてものつみほろぼし

Tada semetemono tsumi horoboshi

Cela, c’est la seule et unique expiation

c)Commentaire de traduction

Après l’épreuve que représentait la Suite Yoshitsune, comprendre, analyser et traduire Dôkoku m’a semblé aisé. J’avais accès aux versions françaises et japonaises du roman, ainsi qu’au jeu, uniques sources de cette chanson. La difficulté est apparue lorsque je me suis attelée, comme je l’avais fait pour Akki Hôgan, au rythme. Dôkoku étant une ballade, le rythme est plus lent et certains sons sont allongés pour suivre la mélodie. Là où parfois le français est excessivement long, le japonais est très court et, inversement, une expression simple suffirait pour traduire une longue série de mores. Cette difficulté, grâce à sa rapidité et aux syllabes marquées, ne s’était pas autant faite sentir dans Akki Hôgan. J’ai découvert ainsi une nouvelle façon de traduire les chansons d’un même compositeur, avec d’autres techniques et d’autres renonciations.

Malgré ces nouvelles découvertes, le commentaire sera tout de même moins développé dans la mesure où la chanson reste beaucoup plus simple.

Découpage

Contrairement à Akki Hôgan, j’ai dû abandonner l’idée de découper selon les soupirs effectués, pour la simple raison qu’ils sont trop nombreux et rendraient la chanson incompréhensible. J’ai donc agencé la chanson par « phrases », dans le sens musical du terme, ou coupé là où les pauses étaient les plus marquées. Cela permet de conserver une unité en japonais comme en français, notamment dans la mesure où les phrases sont davantage construites et forment un tout beaucoup plus concret que dans l’autre chanson.

Ponctuation

Cette fois, j’ai également choisi d’utiliser des virgules. Les paroles de chanson se passant de cet artifice, j’aurais aimé, pour Dôkoku, en faire autant. Malheureusement, ce sont les soupirs évoqués précédemment qui permettent une certaine compréhension de la chanson en japonais. Un auditeur qui ne comprend pas cette langue ne pourra pas se servir de cette précieuse indication lorsqu’il lira le texte en français…

Quand Akki Hôgan était ésotérique, Dôkoku est plus littéraire, plus descriptive, et me semble nécessiter une esthétique plus précise en français, analogue à ce que l’on pourrait lire dans un roman.

De plus, certaines de ces virgules peuvent permettre au lecteur francophone de mieux entendre le rythme très lent de la chanson, et de lire en suivant le rythme en question, qui n’en est pas moins marqué.

La virgule sert donc aussi à souligner des soupirs de façon plus discrète et plus logique que ne le ferait un découpage par saut de ligne.

Spécificités

Je remarque l’existence, même dans une chanson ne s’y prêtant pas, du jeu d’équilibre entre Yin et Yang, toujours présent dans les thèmes du groupe. Ainsi, dans deux strophes successives, à la blancheur de la neige (雪よ白) s’oppose le noir d’encre (真黒). De même, reste le jeu de mots entre せめて et 責めて. Etant donné que ces éléments restent très rares, je n’ai pas cherché à les mettre en valeur en français.

Roman, jeu et oralité
Langage

La façon de parler de Matsuko, féminine, est assez notable dans la chanson. En lisant le roman en japonais, l’on s’aperçoit également de la différence de langage employé entre elle et la jeune Tamayo. Malheureusement, rendre le féminin, ainsi que les nuances de langue, ne m’a pas été possible. J’ai pu remarquer que la traduction française ne présentait aucune solution concernant ce problème. L’occidental devra donc se contenter des indices présents dans la chanson, notamment la séquence 生まれたことも忘れて(« oublie même que je t’ai mis au monde »), qui indique clairement qu’il s’agit d’une mère s’adressant à son fils.

Discours oral

J’ai utilisé un style assez libre pour cette traduction, qui ne met pas en scène un personnage du XIIe siècle mais une maîtresse femme. Bien qu’il soit particulier, son parler est bel et bien moderne. Tout en essayant de rester très correcte dans la rédaction, car Matsuko s’exprime bien, j’ai inséré quelques éléments plus oraux, comme le terme « forcément » dans « Au creux de tes mains, il y a forcément quelque chose à recueillir ».

La présence de virgules jalonnant le texte insiste aussi sur une certaine oralité. Elle permet au lecteur de marquer des pauses à des intervalles qui correspondent aux soupirs d’une phrase prononcée à haute voix, de façon naturelle.

Citation

Ayant repéré que la dernière strophe reprenait le texte japonais, j’aurais aimé reprendre moi-même le texte français. Malheureusement, la traduction ne m’a pas parue judicieuse dans le cadre de la chanson. J’ajoute que cette chanson n’évoque que la résolution de l’affaire et l’union entre Sukekiyo, le fils de Matsuko, et la belle Tamayo. La réplique d’expiation de Matsuko, dans le roman, s’adresse à ses sœurs. La chanson met uniquement en avant les relations de Matsuko avec son fils. La réplique qui leur est adressée concerne ici le jeune couple.

En réalité, la chanson est très bien adaptée au jeu : elle respecte les choix effectués dans celui-ci d’alléger le scénario en supprimant certains éléments, inutiles à la résolution de l’intrigue. En effet, Sayoko est enceinte de Suketomo1. C’est cette raison qui pousse Matsuko à demander à Tamayo qu’une part de l’héritage aille au bébé qui va naître. « Cela, c’est, vis-à-vis de [ses sœurs], la seule expiation. »2

J’ai cependant fait une sorte de clin d’œil à la version française en reprenant les termes « Cela, c’est », puis « expiation », qui devront seuls assurer le lien entre la chanson et le roman en français.

Compréhension

Considérant qu’elle a été composée pour le jeu-vidéo Inugamike no ichizoku3, je pense que la chanson n’a pas besoin d’être explicitée, car liée au contexte de ce support. L’individu souhaitant comprendre plus avant le sens des paroles devra se renseigner par des recherches personnelles. Peut-être sera-t-il même amené à lire la traduction française du roman ou à jouer au jeu, bien que celui-ci ne soit pas disponible en français…

La chanson à elle seule donne tout de même des indices permettant de la comprendre de façon floue : relations entre une mère et son fils, sacrifice de l’un et de l’autre, résolution grâce à l’intervention de cette mère qui assume sa faute et permet l’union d’un couple.

Littérature

Grâce au côté très rédigé de la chanson, j’ai pu conserver l’ordre des mots à plusieurs reprises. Ainsi, les « propositions » marquées par les soupirs sont isolées de la même façon en japonais et en français.

De même, la chanson est une lente ballade plutôt développée. Certains passages se précipitent tandis que d’autres constituent un joli phrasé bien rythmé, non pas en termes musicaux mais en termes littéraires. Il m’ a donc été presque obligatoire de conserver la métrique. Mon découpage ayant permis des phrases longues en japonais, j’ai pu mieux adapter la longueur des strophes françaises que dans Akki Hôgan.

Plus loin, on évoque 彼岸. Il me paraît correct de traduire par « Nirvana » présentement, mais ce terme possède en français une connotation bien éloignée du terme tel qu’il peut être employé en japonais, à fortiori dans ce cas précis. J’ai donc utilisé le terme « Au-delà », avec une majuscule, qui est bien plus parlant.

J’aimerais éclaircir un point sur le terme 真黒. D’après le Petit Royal, sur dictionnaire électronique4, 真っ黒peut être traduit par « noir comme de l’encre » ou « noir comme du charbon ». La qualité extrême du noir n’est pas explicitée en japonais, et l’anglais « pitch black », donné par le site jisho.org5, correspond mieux à sa définition. Évidement, il est hors de question de s’arrêter à ces considérations, et c’est un épisode du roman qui m’a convaincue d’utiliser l’expression « noir d’encre » pour définir le mieux possible la couleur évoquée, tout en s’adaptant à la métrique. L’affaire tourne autour d’un élément qui peut sembler anodin et qui, pourtant, a toute sa valeur : l’empreinte digitale de Sukekiyo doit pouvoir déterminer sa réelle identité, en étant apposée sur une feuille à l’encre rouge. Cette légère référence, fruit du hasard de l’expression française, m’a parue intéressante à utiliser. Peu de personnes la repéreront, mais les plus intéressés y verront un clin d’œil de traduction semblable aux références légères, peut-être fortuites, qu’utilise le parolier.

Les strophes faisant office de refrain sont repérables par la répétition de certains mots et structures. Leur contenu change à chaque rappel et, sans doute pour des raisons de tension dramatique semblables à celles utilisées dans Akki Hôgan, lors de la dernière analogie, un 決して bien senti accentue la strophe et la décale par rapport aux autres. J’ai bien insisté sur ce point en français en utilisant l’expression « d’aucune façon ».

Enfin, après avoir découvert la signification potentielle de 松蘿, j’ai tenté de conserver la métaphore, qui me paraissait recevable en français. L’image est suffisamment claire pour la conserver telle quelle, car tout un chacun connaît la tendance du lierre à s’enrouler autour des arbres. Cela permet aussi d’expliciter la situation en insistant sur l’union d’un couple.

1Arbre généalogique de la famille Inugami, annexe p.15
2Seishi Yokomizo, op. cit.
3Inugamike no ichizoku 『犬神家の一族』(Le clan Inugami), From Software, 2009.
4Nouveau petit royal : dictionnaire français-japonais, Tôkyô, Obunsha, 2003, 1750 p.
5« Denshi Jisho - Online Japanese dictionary », [http://jisho.org/].

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